De la médecine du corps à la médecine de l’âme par le Dr Philippe Dransart
L’ARTICLE :
« De la médecine du corps à la médecine de l’âme », 1ère partie
par le Dr Philippe Dransart
« De la médecine du corps à la médecine de l’âme » , le titre que j’ai choisi demande tout d’abord deux clarifications :
D’abord, ce que j’appelle « médecine de l’âme », ça ne veut pas forcément dire « médecine par l’âme ». Entendez par là que je ne demande pas à l’âme de soigner le corps : si votre corps est malade, allez voir un médecin ! Faites-vous soigner, suivez vos traitements, mais que cela ne vous empêche pas de vous demander si “ce qui vous anime” est impliqué dans cette situation, et si oui, qu’est-ce que cette maladie cherche à vous dire, quelle est la question qu’elle vous pose.
Ensuite, ce message, d’où vient-il ? Les psychanalystes nous disent que cela vient de l’inconscient. Pourquoi pas, mais l’inconscient, qu’est-ce que c’est ?
Pour Freud, l’inconscient est ce qui nous anime sans que nous en ayons conscience. C’est plus qu’une lapalissade : cela veut dire que nous n’avons ni la conscience ni a fortiori la maîtrise de ce qui, du fait même que cela nous anime, est donc censé diriger notre existence ! Nous pensons pouvoir diriger notre vie, il n’en est rien. Caché dans les replis de notre être, une force obscure influence nos pensées, nos faits et gestes, nos… lapsus, interférant pour le meilleur ou pour le pire avec nos décisions conscientes. D’où le sentiment que certaines personnes ont parfois de “saboter » malgré elles leur existence, comme si un bug récurrent mettait leurs projets en échec. Freud a imaginé une technique, qu’il a appelé “psychanalyse”, pour mettre au grand jour ces bugs afin d’en libérer ses patients qui en étaient victimes. Ce n’est cependant pas de psychanalyse dont je vais vous parler, mais elle concerne cette deuxième clarification dont je souhaitais vous parler. En effet, pour expliquer la partie cachée de notre psychisme, Freud a évoqué les “pulsions”, dans lesquelles il a distingué les pulsions de vie et les pulsions de mort. Si le terme de “pulsion” a le mérite d’évoquer une sourde énergie qui nous échappe, je ne suis pas sûr que cette énergie soit aussi sourde que cela. Il semblerait même qu’elle soit douée d’une certaine intelligence, ou, si vous préférez, d’une sorte de conscience qui poursuit un but… lequel but n’est pas forcément le nôtre ! D’où les sabotages lorsqu’il y a désaccord entre notre projet de vie et cette obscure intelligence quand elle ne voit pas les choses de la même manière que nous.
La maladie semble faire partie de ces “sabotages” qui viennent parasiter nos projets. A priori elle ressemble à l’expression de cette fameuse “pulsion de mort” chère à Freud, et pourtant, la plupart de celles et ceux qui s’en sortent s’en trouvent étonnamment grandis… Mais alors, quelle intention poursuit-elle, une intention de mort ou une intention de vie ? Derrière son apparence mortifère, la maladie serait-elle l’expression d’une pulsion de vie, d’un élan qui n’a d’autre but que de nous libérer de ce qui nous entrave ? A l’image d’une pièce de monnaie, serait-elle, côté pile, l’angoisse, l’épreuve et la douleur qui nous enferment dans notre corps, et côté face, un effort pour nous libérer de l’illusion qui nous sépare de ce qu’est la réalité et de qui nous sommes réellement ?
Si c’est le cas, d’où viendrait cet élan de vie ? Là où le terme « pulsion » évoque un instinct dénué d’intelligence, il semblerait que non seulement “quelque chose” nous anime, mais qu’elle le fait avec une certaine intelligence. C’est pourquoi je vous propose d’abandonner le terme de “pulsion” pour cheminer avec l’hypothèse d’une “âme” qui nous anime, ceci non pas dans le sens religieux du terme, mais dans celui d’une intention profonde dont nous n’avons guère conscience, sauf en de rares occasions. Cette “âme” à laquelle je vais me référer, nous allons découvrir que c’est ce qui à la fois engrange la quintessence de nos expériences, et qui poursuit une intention qui, le plus souvent, nous échappe. Et à propos de quintessence, vous remarquerez que, lorsque la maladie est relativement sérieuse, elle a naturellement tendance à nous recentrer sur ce qui est essentiel dans notre existence.
Je vais développer mon propos à travers trois exemples.
GINETTE, ce que mon corps me dit…
Le premier, c’est l’histoire de Ginette, une femme de 63 ans venue me consulter pour des symptômes curieux qui ressemblaient à de l’asthme. J’insiste sur cette histoire que certains de vous connaissent, non seulement parce qu’elle est instructive, mais aussi parce que c’est elle qui m’a ouvert les yeux sur l’idée que la maladie pouvait être entendue comme un langage. Un langage que l’on se tient à soi-même et qui cherche à nous dire quelque chose, comme s’il existait en nous un être qui nous parlait.
J’ai rencontré Ginette dans les années 80, peu après la sortie du livre de Marie Cardinale, « les mots pour le dire », un livre dans lequel elle exprimait l’idée que notre corps nous parle, en évoquant les MOTS qui se cachent derrière les MAUX.
Les symptômes de Ginette étaient apparus brusquement un an auparavant. Elle me disait, « J’étouffe, j’ai besoin d’air, ça me fait la sensation d’avoir un collier serré autour du cou. J’ai vu plusieurs médecins qui ne sont pas d’accord entre eux, certains me disent que c’est dans la tête, d’autres me disent que je fais de l’asthme, d’autres m’ont dit que j’avais un problème au niveau de la thyroïde« . Joignant le geste à la parole, elle a posé son dossier sur ma table en me décrivant par le menu l’historique des médecins consultés et des bilans réalisés. Sa thyroïde était effectivement légèrement perturbée, mais ça n’expliquait pas l’intensité des symptômes. J’ai feuilleté son dossier puis je l’ai mis de côté en lui disant : « Ça, c’est l’histoire du diagnostic. C’est l’histoire des médecins consultés. Maintenant, parlez-moi de vous, de votre histoire. » Elle n’a pas tout de suite compris le sens de ma question car, pour elle, son histoire, c’était celle de la maladie ! J’ai précisé : « Parlez-moi du contexte dans lequel les choses sont apparues. Qu’avez-vous vécu avant que la maladie se déclare ? »
Le contexte ?
J’aimerais tout d’abord faire deux remarques :
D’abord, de nombreuses personnes ressentent la maladie « comme un cheveu sur la soupe » venue contrarier leurs projets, tandis que d’autres ne sont pas surprises de sa survenue, comme si elle venait souligner l’impasse dans laquelle elles se trouvent… une impasse qui, comme nous allons le voir, tient souvent à notre manière de voir les choses.
Ensuite, quand vous allez voir un médecin, c’est bien sûr pour lui parler de votre maladie, ce n’est pas pour lui raconter votre vie ! A chacun son travail, il y a des psy pour cela… Donc, si nous suivons ce raisonnement, il y a d’un côté une maladie objective, entendez par là qu’elle va être un objet d’étude, un objet que l’on va pouvoir nommer, mesurer, comparer aux objets semblables afin d’en faire un diagnostic et d’en mesurer l’évolution… et de l’autre, il y a le sujet qui la vit ; un sujet qui, par définition, est subjectif. Autant l’objet, nous pouvons l’appréhender de manière objective et mesurable, autant, malheureusement pour lui, le sujet n’est pas mesurable. On peut bien sûr « mesurer » la douleur sur une échelle de un à dix, mais ça ne nous dit pas si ça pique, si ça ronge, si ça brûle, etc. Je dis « malheureusement pour lui », parce que dans une démarche objective, scientifique, le sujet a parfois du mal à se faire entendre tant qu’il n’apporte pas la preuve de ce qu’il ressent. Je me souviens d’un chef de service dans un hôpital parisien qui disait à ses étudiants : « Jusqu’à preuve du contraire, partez du principe que le malade ment ». Il ne faisait que rejoindre la remarque de Niels Bohr, un célèbre physicien du début du 20ème siècle, qui disait : « Ce qui ne se mesure pas n’existe pas ». Donc, il faut mesurer l’objet car il est objectif, mais il faut se méfier du sujet car il est subjectif… Le paradoxe, c’est que cette démarche a permis à la médecine de faire d’immenses progrès ! Et j’insiste à nouveau pour vous dire que si vous êtes malade, faites-vous soigner ! Mon propos n’est pas de vous éloigner de la médecine qui s’occupe du corps, car nous en avons besoin, moi le premier… Je souhaite simplement évoquer la face cachée de la maladie, celle qui, par son vécu et ses symptômes subjectifs, cherche à vous dire quelque chose.
Ses symptômes subjectifs ?
Ginette me disait, « J’étouffe, j’ai besoin d’air, j’ai une sensation d’avoir un collier serré autour du cou. » Dans quel contexte ses symptômes étaient-ils apparus ? Son mari était gérant d’une petite société, ce qui l’amenait à se déplacer régulièrement. Mère de trois enfants, Ginette avait décidé de rester au foyer d’autant que l’argent ne manquait pas à la maison, mais après le départ du petit dernier elle s’était retrouvée un peu seule. Elle avait alors investi une petite association d’entr’aide, dans laquelle elle avait fini par prendre une place de responsabilité en raison de son tempérament plutôt actif et sociable… Et naturellement, ses responsabilités l’ont souvent amenée à animer des réunions le soir. Son mari étant souvent absent, chacun y trouvait son équilibre…
La suite de l’article du Dr Dransart dans la prochaine lettre !
Retrouvez tous les mois les causeries du Dr Philippe Dransart : https://philippe-dransart.com/causeries/
Article paru dans la Lettre Médecine du Sens n° 357
Le processus de la présence permettant de percevoir les ressentis, est un « entrainement » de chaque instant .
J’en fais l’expérience. Difficile de se concentrer sur l’écoute attentive des messages du corps, dans un environnement de sollicitations extérieures dans l’mmédiateté , la reaction , la rapidité des réponses. Je reste attentive à la suite de l’article . Merci.